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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/272

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ma lettre : Paris. Pense combien cela m’a affligée. J’ai mis aussitôt la plume au point. Tu dois au moins me croire sautée à quelques millions de lieues en l’air et je me porte comme plusieurs Ponts-Neufs restaurés. Enfin il faut attendre le départ du chemin de fer qui t’apportera la bienheureuse lettre. Le soleil est superbe, le ciel plus bleu qu’à Paris. Avignon est une ville dans mes idées, toute remplie de vieilles maisons avec des écussons où l’herbe pousse dans les vieux trous. Quant à notre petite maison, c’est celle d’une poupée. La cuisine n’est pas trop petite, les pièces sont de la grandeur des nôtres, l’escalier droit comme ceux des chalets suisses. Il y a un pied de vigne comme je n’en ai pas encore vu, énorme, pas travaillé par la main des hommes. Il court follement le long du mur et vous tend ses brindilles vertes. Nous avons été nous promener sur les remparts, c’est plus beau que toutes les belles promenades de Paris. Le Rhône, les montagnes, les églises sont charmants enfin même le marché. Tu sais que je ne les aime pas, mais ici c’est un vrai plaisir d’y aller. Les fleurs y sont, avec les légumes, arrangées d’une façon toute poétique. Quelques endroits dudit marché sont couverts avec des toiles comme à Alger, ce qui lui donne un air étranger qui ne ressemble en rien à nos affreuses halles. Les Provençaux parlent avec une prestesse incroyable ; on dirait d’une volière ouverte toute remplie d’oiseaux. Si vous étiez tous présents je n’aurais pas de regrets, mais je sens là-bas des cœurs qui m’aiment et malgré le beau soleil du bon Dieu, mon âme prend son vol vers vous tous que j’aime plus que le soleil même. — Quant à mon voyage, il a été une preuve de plus pour moi que les bour-