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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/286

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lettres, fût-il Eschyle, Shakespeare ou Molière, ne peut, le lendemain d’une de ses « premières », se regarder sans rougir de honte dans son miroir à barbe. Comme le Christ au poteau il est encore enduit de la salive des crachats.

J’y avais passé trois fois déjà, je savais. À la vérité ces trois épreuves m’avaient été assez clémentes et les directeurs de mes débuts étaient de bonnes gens, ils ne m’avaient pas malmené sans quelques égards, le bon Larochelle surtout, qui m’a laissé le souvenir, frais comme l’avril, d’un imprésario héroïque en ceci qu’il jouait les pièces telles qu’elles étaient écrites et sans y verser de son encre. Il en est mort millionnaire, d’ailleurs, parce que les dieux sont justes. Je n’avais donc pas trop à me plaindre, même de la Comédie-Française pour qui, innocemment, je me remis à travailler.

Le hasard perfide m’avait replacé sous les yeux un scénario de comédie gribouillé en Normandie et dont le thème, les personnages, l’affabulation et le cadre étaient esquissés d’après nature. Je l’avais longuement rêvée à Veules-en-Caux, que l’on appelle à présent : Veules-les-Roses et que plusieurs séjours de Victor Hugo ont illustré beaucoup plus que cette métonomase florianesque.

Ce n’était alors qu’un pacifique et solitaire village de quatre cents feux fondé par une émigration de Polletais, et dont les familles gagnaient assez péniblement leur vie à tisser pour les drapiers d’Elbeuf et de Rouen. C’est de cette ville que par trois voituriers chaque semaine leur arrivaient le coton et le lin partagés entre cent métiers toujours battant de la navette, et le meilleur tisserand n’y suait que