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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/292

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C’était un manoir Louis XIII, parfaitement conservé mais inhabité depuis vingt années, aux entours duquel une armée innombrable de corbeaux, campée dans la prairie environnante montait la garde. Il n’y avait qu’à sauter une douve assez étroite pour pénétrer dans l’espèce de forêt vierge qui avait été le parc du castel et à se laisser, une fois là, envahir par la solitude. À qui appartenait ce domaine aux fenêtres hermétiquement fermées et dont le perron de velours vert disait l’abandon invétéré, je n’avais aucun souci de l’apprendre. La famille qui l’avait déserté et qui ne l’avait ni vendu ni loué, était assurément opulente et titrée et quelque drame public ou intime expliquait le délaissement singulier de la seigneurie. Cette fois, je tenais le type de magnat normand qui dans Le Nom s’appelle le duc d’Argeville, et je n’avais plus qu’à écrire l’ouvrage.

Je ne l’écrivis point cependant, ayant quitté Veules pour suivre l’aventure d’une destinée cahotante qui me jetait sans pitié hors de la voie tracée et le bon Mélingue ne connut jamais la pièce à laquelle il s’intéressait si paternellement. Elle ne fut représentée qu’en février 1883 à l’Odéon, et il était mort depuis huit ans.

Sait-on et vous l’ai-je déjà raconté, que la marotte de ce grand artiste, le plus beau de tous les hommes, et le héros idéal de la dramaturgie romantique, était de jouer les valets de répertoire ?

— Tenez, si vous étiez malin, me disait-il dans son jardin entre les tamaris qu’il dépassait de toute la tête, vous me feriez une bouffonnerie, une pantalonnade. On ne me donne pas les rôles qu’il me faut. Oh ! ajoutait-il, Les Fourberies de Scapin, voilà