Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/305

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le front entre les mains, les cheveux éventés par les brises du Luxembourg, tenté la transsubstantiation cérébro-spinale qui devait me changer en véritable auteur de ma pièce ! Hélas, je n’en restais toujours que le signataire, rien de plus. Qu’elle est cruelle, cette Thalie, sœur de Melpomème, qui fait l’un bigle, l’autre borgne, celui-ci myope et celui-là presbyte, sans parler du daltonisme propre aux directeurs-nés, et multiplie ainsi à l’infini les cas d’ophtalmie théâtrale !

La toile de Pénélope est une vague tapisserie de Bayeux, en comparaison du labeur de canevas et de broderie, auquel l’idéal de La Rounat condamna ma navette folle. Je lui rendais l’amitié véritable et pratiquante qu’il m’avait vouée et, rien que pour lui être agréable, en huit mois je lui improvisai huit versions hygiéniques de sa comédie de dilection. Il y en eut pour les jours de migraine, de purge, de vague à l’âme, de mal de dents et d’Odéon vide, conformes dans la diversité et diverses dans la conformité, sans y perdre un personnage, car il tenait aux moindres comme il n’en voulait point d’autres. Mon papetier enrichi acheta une maison à Bois-Colombes et mon copiste cria grâce : ses calligraphes refusaient la besogne sur le simple vu de mon écriture. J’étais en proie moi-même à des hallucinations somnambuliques qui exigeaient, avec des soins diurnes que l’on cadenassât, la nuit, les toits et l’accès des gouttières. J’y montais en chemise.

La Faculté vint, ausculta et dit : — primo, retirer la pièce ; secundo, aller brouter de l’herbe.

Rien de plus aisé à suivre, semblait-il, que la prescription de l’ordonnance et, si Porel eût régné seul,