Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les personnages de la pièce nous dansaient dans le crâne comme ceux d’une tapisserie fantastique, ils en sortaient sur les pointes, ils s’en évadaient par couples, ils allaient jouer une autre pièce qui était de La Rounat, que je retapais à petits coups sur l’enclume, et que Porel déclarait injouable, excepté en Angleterre !… Pourquoi en Angleterre ? — Parce que, disait-il en riant, en Angleterre, on respecte les textes, les auteurs sont libres, voyez Shakespeare.

Je résolus d’obéir à cette vision fiévreuse. J’étais maté, ficelé, à point ; je ne comprenais plus rien à l’ouvrage ; j’étais le poulpe dont la poche est retournée et qui bat les airs des tentacules. Je me jurai de refaire Le Nom sur l’idée que La Rounat en avait lui-même et de m’assimiler son idéal, quel qu’il fût. L’Odéon m’envahissait et ma fatigue était immense. — Cher ami, dans la scène deux du quatre, ou la scène quatre du deux, n’importe, que feriez-vous dire au duc ? Vous êtes noble, vous devez le savoir. Dictez ! — Je ne suis pas noble d’abord, et halte-là ! Je m’appelle Rouvenat. La Rounat est un nom de guerre. — De guerre contre qui ?… — Il ne me répondait pas, car lui aussi il était intelligent. Il avait même fait du théâtre, tout comme un autre.

Je crois à la transfusion du sang, oui, mais je ne crois pas à celle du génie, et pour cause, en ayant fait un essai stérile. Que de fois assis sur le rond de cuir même de mon confrère du XIXe Siècle devant le manuscrit zébré de bleu et de rouge, déchiqueté, couturé de béquets, plus éculé qu’une vieille espadrille de forçat, lamentable enfin, et où il ne restait que le titre de l’œuvre reçue, n’ai-je pas,