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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/308

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j’avais compris, j’y étais. Mon pays avant tout. Philippe épouserait Hélène qui épouserait Philippe et La Rounat serait le maire, à la barbe auguste des Dieux tonitruants.

Optimiste de tempérament, comme Alfred Capus et Collin d’Harleville — et on ne l’est pas autrement, — je ne me vends pas au diable sans rire. Jamais union de carpe et de lapin, rêve de foire, n’avait été aussi hyperbolique que celle à laquelle la loi des centièmes condamnait à la fois mon bon sens et mon esthétique ; mais, de revers, elle m’apparut si amusante en son délire que, toute gloire cessante, je m’enfermai à triple tour, nanti de vivres, liquides, solides et nicotineux pour trois jours, et que je me mis à manches retroussées à l’œuvre hilare.

Outre une tentation de saint Antoine placée sous mes yeux pour m’entretenir en état de faribole, j’avais un guéridon à trois pieds en bois léger, bon conducteur d’ésotérisme, sur lequel j’avais disposé en rond et bord à bord des volumes dépareillés, et d’autant mieux choisis, du théâtre de Scribe Eugène, l’un de comédie, l’autre de drame, puis de vaudeville, puis d’opéra et enfin d’opéra-comique, et le guéridon tournait tout seul. C’était pour la suggestion. Je tenais le secret du système de Victorien Sardou qui en a tiré jusqu’à des cinq centièmes et ne s’en cachait à personne. De telle sorte que le troisième jour, le soleil tomba sur le mot : fin. J’étais plus rouge que lui peut-être, mais je ne pleurais que de rire. Le déshonneur est amusant.

Le lendemain j’étais à l’Odéon.

— Mariés ? me cria La Rounat.

— Mariés, fis-je.