Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et comédiennes qui, des dernières années de l’Empire jusqu’à nos jours, ont étoilé le zénith et le nadir du firmament théâtral et ma conviction est que leurs individualités, apparemment diverses, se réduisent en somme à une seule, pour chaque sexe. L’art concret d’un La Bruyère est le plus propre à la caractériser et trente lignes peuvent y suffire. Roscius, c’est Talma et Talma est Frédérick, et de même la Clairon encadre Rachel qui est notre Sarah. Il n’y a que des incarnations successives du type, comme pour Vichnou, si j’ose. Adolphe Dupuis déviait seul de la ligne ou, si l’on veut, de sa filière. Jeanne d’Arc, qui reconnaissait le roi entre trente gens de cour n’aurait pas distingué, entre trente gentlemen, le comédien profès dont le cache-cache lui aurait proposé la découverte. Lorsque je descendais avec lui de l’excentrique Odéon pour regagner le boulevard-nombril, les amis que je rencontrais le prenaient pour un oncle à succession à qui je faisais visiter la ville. Il venait toujours ou semblait venir de son château pour voir son notaire et, entre-temps, son tailleur. Qu’il eût développé ces hautes allures à Pétersbourg dans la familiarité des grands-ducs et du grand monde russe dont il était l’idole, c’était possible, mais elles étaient innées en lui et fondamentales. C’était mon duc d’Argeville craché. Il prit donc le rôle du fermier normand, vous dis-je. En ce monde, on prend toujours le rôle du fermier normand, c’est écrit dans les astres et le diable y veille. Et les répétitions commencèrent.

Pour être commerciable, une pièce de théâtre, à Paris, doit subir une métamorphose dite scénique qui n’en laisse graduellement que le titre. Nul n’a