Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/33

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et malgré tout. La ville d’Anvers est assez riche pour jeter, s’il lui plaît, des lampions à l’eau.

Aujourd’hui lundi à deux heures, le vieux Druon Antigon est enfin sorti de l’arsenal où il se repose le reste de l’année de la malice des Anversois et de leurs cruels manques de respect. Pauvre géant, quel sort que le sien ! Être de la race d’Odin ou Wotan, avoir connu les Walkyries et peut-être avoir compté parmi les favoris de la belle Freya, déesse de l’amour, pour que les galopins flamands vous fassent des pieds de nez et vous tirent la langue ! Qu’est-ce qu’attend donc le paladin Richard Wagner pour voler au secours d’Antigon d’Anvers ? Enfin le voilà sur son char de supplice, une massue à la main, un genou en avant et l’autre replié de façon menaçante. Sous son casque surmonté d’un dragon, son visage a l’amertume de sa destinée ; il a les yeux cernés par le chagrin, et sa barbe noire, si noire qu’on ne voit qu’elle dans l’air limpide, n’a pas un fil d’argent après tant de siècles. Est-ce là ce terrible colosse dont le toupet dépassait les tours de son château et qui enjambait l’Escaut pour cueillir les vaisseaux entre ses mollets ? Vous ne me ferez pas croire qu’un petit lieutenant romain soit venu à bout de ce demi-dieu-là, de cet hercule scandinave !

Derrière lui voici sa fille, la belle Octroie, ou la belle Douane à votre choix ; elle est habillée à la mode grecque, par la même couturière sans doute que sa cousine céleste Pallas Athéna. Superbe créature, et que l’on excuse de n’avoir pas accepté pour mari ce freluquet de Salvius Brabon. Elle a sur sa cuirasse le blason d’Anvers, « de gueule, aux trois tours d’argent, surmonté de deux mains appau-