Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/330

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et s’exposent bravement eux-mêmes aux déboires de la rampe. Une pièce, bonne ou mauvaise, dit Voltaire, est une œuvre du démon, et il n’est tel que d’en faire pour être indulgent aux pires.

Il faut bien dire aussi qu’au temps odéoniques de Le Nom, les tenants de la rubrique étaient pour la plupart des lettrés assez étranges et plus proches du plumassier que du simple plumitif, moyenne de l’écriture. Je me rappelle qu’à la première de l’Othello de mon ami Louis de Grammont, l’année précédente, nous nous étions donné rendez-vous, Monselet, Paul Arène et moi, au café Voltaire pour y prendre un bock pendant l’entr’acte. Nous échangions donc nos impressions toutes shakespeariennes comme bien on pense, lorsque poussant violemment la porte, le soiriste d’un organe fort accrédité, vint droit à notre table et, le front plissé de colère :

— Alors, c’est ça votre Shakespeare ? Mais il est crevant !…

— Encore, sourit malicieusement Monselet, s’est-on donné la peine de vous le traduire. Ah ! si vous saviez l’anglais ! Tenez, voici Arène qui le parle comme le provençal même. Demandez-lui de vous en dire quelque tirade dans le texte original.

Le poète de Jean-des-Figues était un pince-sans rire admirable. De la langue d’outre-Manche il ne possédait pas un traître mot, mais il se mit à rythmer en les scandant des phrases hexamétriques, gutturales et nasales, où le nom d’Iago se mêlait à celui de Desdémone et qui rimaient par mode sternutatoire.

— Hein ? remarqua Monselet, qu’en dites-vous ? Et quand on pense que depuis deux siècles et demi