Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/48

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vrage, qui n’offre rien d’exemplaire que ces qualités. Le ravissant volet de la Visitation, qui forme la partie gauche du triptyque, est encore plus concluant : l’imagination la mieux prédisposée aurait peine à reconnaître la Vierge visitant sa cousine Élisabeth dans cette belle Flamande abritée sous un vaste chapeau de feutre.

Non, certes, Rubens ne peut être pris pour le type du peintre chrétien, et en y regardant avec soin, on ne tarderait pas à s’apercevoir que son esthétique est sinon hérésiarque, du moins schismatique à plus d’un chef. On conviendra d’ailleurs que le culte ascétique, qui met au premier rang des vertus la mortification de la chair, s’accordait difficilement avec le génie particulier du maître. Si jamais la chair a été glorifiée, au contraire, célébrée sans relâche et publiquement adorée, c’est par Rubens. Son puissant matérialisme n’est douteux pour personne, et nul homme peut-être n’a chanté au corps humain un hymne plus enthousiaste. En cela, il est bien sincèrement Flamand. Dans leurs mouvements emportés, dans leurs envolées triomphantes et dans leurs héroïques mêlées de géants en belle humeur, les personnages de Rubens sentent encore la kermesse. Son Olympe et son Paradis ne nous paraissent pas bien élevés au-dessus de terre, et l’ambroisie que l’on y mange, le nectar que l’on y boit pourraient bien provenir du bon port d’Anvers. Nous soupçonnons violemment sa Vénus, sa Minerve, sa Junon et ses autres déesses de prendre du haut du ciel un assez vif intérêt au débarquement du hareng salé, à la pêche des anguilles dans l’Escaut et à d’autres distractions tout à fait terrestres et braban-