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Rembrandt aux ventes et tous ceux du Louvre. Mais la « Ronde », avec son mystère triséculaire de clair-obscur, c’est l’Arche Sainte, le pandémonium, le morceau d’initiation. Enfin, allons-y, n’est-ce pas ?

Le sanctuaire apparaît d’abord déplorable, bas, fumeux, éclairé de travers par un jour faux de cave. Peut-être a-t-on voulu restituer ainsi celle où le peintre lui-même travaillait et combinait ses alchimies. On résiste d’abord, à cette mise en scène. On se dit que la « Ronde » étant un tableau de corporation comme celui de van der Helst qui est en face, il devrait décorer, par destination, une grande salle à larges baies. Dans ce sous-sol à jour de soupirail c’est une gêne que de trouver le point de vue du tableau, plus à gauche, plus à droite, on hésite, on cherche machinalement la torche des cryptes. L’embarras des visiteurs, anglais ou allemands, avec ou sans guides, est bien amusant à voir. Ils ne savent dans quel angle se placer, ils vont et viennent, avancent ou reculent, se font abat-jour de la main, et finissent par s’empiler derrière un paravent qui diffuse encore le rayon ténébreux filtré par les verres dépolis de la baie. Ils attendent là, en tas, que l’obscurité se dissipe, comme des enfants écarquillés guettent la lanterne magique.

Terrifié par Kæmmerer, je tends tous mes sens à l’évocation, le lorgnon dardé, l’âme ouverte.

Il paraît que depuis un temps immémorial la presse progressiste d’Amsterdam proteste contre cette exposition du chef-d’œuvre national dans un souterrain de faux monnayeurs. Le municipe ne bronche pas. Autrefois le tableau était placé sur un