Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/79

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À la vérité je m’y étais exercé dès l’année précédente par une gestation préparatoire chez Ludovic Baschet, l’éditeur de la « Galerie Contemporaine ». Sous couleur d’Exposition Universelle, celle de 1878, je l’avais persuadé de distribuer d’avance les médailles d’honneur des deux Arts et d’influencer le jury international par une publication de Haute Esthétique universelle et comparée où nous couronnerions au nom de la France les quarante plus forts graisseurs de toile et tritureurs de glaise de l’Europe coalisée. Je ne sais plus pourquoi nous n’en immortalisâmes que trente-cinq, plusieurs ayant été laurés erronément deux fois par l’éditeur. Ce travail se trouve toujours dans le commerce sous le titre vraiment austère de : « Les chefs-d’œuvre d’art à l’Exposition Universelle de 1878 ». Il comprend deux tomes in-folio, magnifiques, de ce format de haut bord pour lequel aucun rayon n’est assez haut dans les bibliothèques, mais qui est propice à exhausser sur les chaises les enfants à la dînette. Au-dessus de cinq ans un seul tome suffit.

Le jury international n’hésita pas à se soustraire à l’influence, et les médailles d’honneur s’égarèrent pour la plupart sur des maîtres que ma critique n’avait pas prévus, mais les trente-cinq eurent tous quelque chose à la tombola décorative. L’honneur était sauf, et comme, d’autre part, Ludovic Baschet n’était pas de ces éditeurs hoffmannesques qui assassinent, le soir, les acheteurs hagards pour leur reprendre leurs exemplaires, les in-folio s’épandirent et le succès appesantit cruellement mon crédit d’involontaire compétence. Je m’enfonçais.

J’en avais la notion nette. Adieu les beaux poèmes