Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

nulle autre part, que, comme Bélisaire, je devais perdre les yeux au service de la gloire.

Du double magasin du rez-de-chaussée ouvrant de plain-pied sur l’asphalte immortel, je gardais le comptoir sacré où le vieux bonhomme Prinsler avait dormi son demi-siècle, en chevalier de ballade, auprès des fioles à goulots d’or. À ce comptoir allaient se ruer les foules, turba ruit ou ruunt, des abonnés qui se respectent, tels, autour de Law, rue Quincampoix, les preneurs de « Mississippi ». Il n’y fallait plus que le petit bossu de la chronique. L’Olympe me le préparait comme tout le reste, tandis que René Delorme recrutait une rédaction devant laquelle l’Académie n’avait plus qu’à mettre la clef sur la porte et retourner chez Conrart se taire prudemment.

Pour tempérer l’ardeur de ces abonnés, plus nombreux que ceux de l’Odéon, l’idée me vint d’utiliser la vaste boutique en la transformant en musée, ou pour mieux dire, en exposition permanente des œuvres peintes ou dessinées de nos collaborateurs artistiques. Mais il fallait innover dans l’espèce. Sur ses trois murs et dans les deux vitrines elle offrait place à trente ou quarante toiles de bonne mesure, le jour en était excellent et la place unique, au centre de Paris même. Il ne me fut pas difficile de décider les peintres militants de l’époque et passés maîtres aujourd’hui d’y transporter les pièces de leur production courante, et chacun, l’un après l’autre, et à son tour, Vollon, Manet, Monet, Renoir, Sisley, y vidèrent leur « atelier ». Ces expositions individuelles et nominatives, où se manifestait dans son intimité le génie diversifié d’un maître et qu’il aménageait lui-même, réussirent d’ailleurs à miracle, et quand je