Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/118

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Celui qui me l’écrivait au printemps de 1887 est peut-être à notre époque la figure la plus originale de notre monde dramatique. Dans cet Odéon, enlevé à la force des poignets, par escalade et la hache aux dents, où il règne moitié comme Milon dans Crotone et moitié comme Denys dans Syracuse, il incarne le type énergique, et toujours vainqueur, du volontaire devenu si rare en nos sociétés de fatalistes. André Antoine est l’homme d’une idée, d’une seule, sans plus, mais dont rien ne l’a fait démordre. Il a marché droit sur elle, son araignée au plafond, écartant ou enjambant les obstacles, pendu à l’étoile. Il voulait l’Odéon.

Avoir l’Odéon — ne pas l’avoir — dilemme ignoré d’Hamlet ! Il l’a eu. Il en jouit. Broumm !

À la vérité, rien de moins difficile sans être sorcier, que de deviner, à sa lettre, ce qu’il désirait de moi et que la pièce demandée n’était que le prétexte d’une manœuvre où l’auteur devait lui acquérir le journaliste. Je ne serais pas de Paris si je m’y étais mépris. Les écrivains dont les œuvres composaient son premier programme étaient d’une École dont je ne relevais guère et, s’il les aimait, il se trompait de porte en sonnant à la mienne. Or il les aimait entre tous. Son Sinaï flamboyait de Médan, qui est en Seine-et-Oise. Il vint donc me voir sur l’invite que je lui en fis et au bout de cent mots je sus à qui j’avais affaire. Ce petit homme aux manières lourdes, à la tête carrée de Breton, où deux yeux de visionnaire relevaient le dessin brutal de la bouche, était, à n’en pas douter, de ceux qui disent quelque chose et sont quelqu’un. Il s’était fait escorter d’un camarade, grand escogriffe sec et roux, qu’il me présenta