Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/119

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sous le nom de Mévisto, dont le rôle en cette visite était, je pense, de flanquer son chef de file. Les gens d’initiative et les jolies femmes aiment à être accompagnés d’un double, comme s’ils avaient peur d’être tournés.

Lorsque Antoine eut achevé son boniment, paraphrase de sa lettre : — Cher monsieur, lui dis-je, vous me voyez infiniment flatté de votre démarche et c’est surtout Caliban qui vous en remercie. Je le mets à votre service, car pour ce qui est de l’auteur dramatique qu’il cache et même refoule, outre qu’il brûle ses feux sur d’autres autels que les vôtres, il n’a pas en ses tiroirs les plus profonds la petite pièce dont vous avez besoin pour votre deuxième affiche du Théâtre Libre. De mon état, je suis surtout poète ; à ne vous rien céler, j’aune de la rime en chambre.

— Filons ! fit Mévisto, qui se dressa tout pâle et saisit son chef par le bras.

Mais il ne l’entraîna pas encore. Les regards d’Antoine dardaient à travers les murs, le temps, l’espace, fixes, il voyait l’Odéon !

— En avez-vous au moins une en vers ? me demanda-t-il d’une voix comme lointaine.

— Oui, en trois actes, prenez garde.

— Allons-y.

Pour imaginer le ton et le geste de cet : Allons-y, il faut se représenter Got passant le Rubicon, et ce n’est pas commode.

Antoine n’a jamais prisé la forme versifiée qui, à l’Odéon, est maîtresse. Il s’y bute d’instinct et par éducation à la fois. Son intelligence littéraire, qui est très vive, s’obnubile devant le rythme et défaut