Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

personne. Ce qu’on lui criait à droite et à gauche, pour sa bienvenue, c’était des aménités dans le goût de celles-ci : « Mort au uhlan !… Oh ! c’te tête d’Alphonse !… À bas le môme à Marfori ! » J’en entendis d’autres encore, intraduisibles en espagnol, surtout en vers de cantates. C’était l’héritier de Charles Quint.

Ce que Paris lui reprochait, non sans quelque logique peut-être, c’était de s’être laissé nommer par Wilhelm II colonel du régiment de Schleswig-Holstein et de venir exhiber son uniforme bismarckien tout battant neuf dans la ville bombardée par Wilhelm 1er , aïeul du précédent susnommé. Le jeune prince était mal conseillé, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute, et l’excellent Cánovas del Castillo, son Mentor, eût été plus sage de l’inviter diplomatiquement à rentrer tout droit de Berlin à Madrid sans passer par nos petits théâtres.

J’ai su depuis, par un vieil ami, retiré au Val d’Andorre, et qui y fait de l’élevage, que l’éclat de rire de don Carlos au sujet de cette gaffe du cousin régnant avait empli toute la Navarre.

Par une règle divine qui place toujours les poètes au bon endroit, soit dans le coin philosophique des événements, j’étais assis de telle sorte, à ma terrasse, que le regard du gaffeur royal croisa le mien et que j’y lus, comme vous lisez ces lignes, une pensée digne de la cellule de Charles Quint lui-même au monastère de Saint-Just : « On ne sait pas à quel point il peut être embêtant d’être roi sur la terre ! »

Ce ne fut qu’un éclair, mais quel éclair ! Le Sinaï n’en projetait point de plus illuminants sur les tables de bronze mosaïques.