Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/156

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Le poète de Jean-des-Figues ne me laissa pas attendre jusqu’au dessert le poil dont j’étais menacé. Il me savait docile à sa critique, fortement documentée et autorisée d’un art admirable auquel il n’y avait qu’à rendre les armes. — Qu’est-ce que j’ai encore fait ? provoquai-je. — Animal, te voilà à présent naturaliste ! — Moi ? — Toi-même. Tu passes à l’ennemi. Tu te rallies à la « tranche de vie ». Tu crois au théâtre d’après nature. Tu les salues : novateurs !… — Qui, qui ? — Eux, là-bas, ceux de l’Oise ! Où as-tu vu que le peuple, en art comme en tout le reste, veuille du neuf et en demande ? Écrit-on ça quand on se respecte ? Non seulement il n’en demande pas, même pour deux liards, mais il en a horreur, de ton neuf, et il te le clame à toutes les premières. Si tu ne l’entends pas c’est que tu es sourd, car tu n’es pas bête. — On ne peut pourtant s’immobiliser aux classiques, Molière, Racine et Corneille, les mœurs changent, le progrès marche, tout va parallèlement à l’avenir.

Et Paul Arène dit : — Les mœurs ne changent que superficiellement. Le progrès tourne. L’avenir est un mirage du passé. Molière, Racine, Corneille n’ont même pas encore « commencé » dans la masse. Sais-tu où est le peuple ? Un peu en avant de Thespis, aux mystères du moyen âge, pas plus outre. — Comme en Chine, souligna le consul. — Et à Sisteron, fit la sœur. — Quoi, protestai-je, sous Edison, Pasteur et Zola, en pleine téléphonie universelle ? — Et à Paris même. Paris reste médiéval. En veux-tu la preuve ? — Oui. — Viens. — Où ? — À cent pas de la porte, à la foire.

C’était en effet le temps où les forains alignent sur