Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/224

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ils ont tous les droits possibles et imaginables, ils jouissent déjà de la gloire des Guides Joanne ou Baedeker.

« Ne manquez pas, disent ces manuels du parfait touriste, ne manquez pas, si vous pouvez, en passant par Bocognano, d’aller fumer une pipe sur la montagne (1.800 mètres) avec les frères Bonelli, fameux bandits ethnographiques, qui, sous le nom de Bellacoscia, symbolisent la vieille tradition séculaire de la vendetta. »

Ils donnent ce conseil, les excellents guides, mais il n’est pas facile à suivre ; et voilà tantôt quarante ans que la gendarmerie française essaye, sans y réussir, d’aller fumer cette pipe, à cette altitude, avec les Fra-Diavolos corses.

C’est pour cela sans doute que Baedeker et Joanne disent en leur langage : « Ne manquez pas… si vous pouvez !… »

Par un concours de circonstances favorables, je l’ai fumée, moi, cette pipe de dix-huit cents mètres ! Il m’a été donné même de déjeuner à la maison d’Antoine Bellacoscia, dans cette gorge de la mystérieuse Pintica que le nouveau roi des montagnes a baptisée : le Palais-Vert ! Mais j’y ai laissé une paire de bottes, par exemple !

Miséricorde ! quelle ascension !

Un soir, au café du Roi-Jérôme, place du Diamant, à Ajaccio, je témoignais du regret que j’aurais de quitter la Corse sans avoir accompli le vœu des guides : « Ne manquez pas… si vous pouvez ! »

Il était d’autant plus difficile de « pouvoir », que les malheureux outlaws étaient, je l’ai dit, terriblement traqués par un brigadier de gendarmerie for-