Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/229

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chanal de fin du monde, je commençai à user mes bottes.

Celui qui n’a pas marché dans le maquis ne sait pas ce que c’est que la gymnastique ! Nulle trace de sentier dans l’épaisseur de cette haie vive immense. On s’étage peu à peu sur des cailloux en dégringolade permanente.

Les épines, les branches, les racines enchevêtrées, vous piquent, fouettent, accrochent, cognent, blessent et lacèrent. On se sent tricoté vivant, dévidé comme un peloton de fil par un chardon, on saigne, on jure, on pense à Régulus et à son tonneau, et c’est le désespoir dans le plaisir.

De temps en temps, dans les endroits découverts, un coup de poing amical vous écrase le chapeau et vous nivelle le crâne hors de la longue-vue des gendarmes ; puis on se trouve suspendu par la culotte, ou du moins ce qu’il en reste, au-dessus d’un précipice où hurlent les stryges du vide.

À chacun de ces paysages nouveaux, Marthe qui volait comme un sylphe, et sans même accrocher ses jupes, sifflait brièvement entre ses doigts, et un enfant apparaissait, tantôt sur un arbre et tantôt entre les pierres.

C’étaient les sentinelles postées sur notre passage, et qui annonçaient notre venue.

Et nous allâmes ainsi cinq heures, enfiévrés par cette ascension et traînés par cette sorcière fumante.

Comment les Corses, même les plus robustes, résistent à des marches dans le maquis telles que celle dont la courbature hante parfois encore mes reins en rêve, c’est ce qu’on ne comprend pas même au Club alpin.