Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/252

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levée en balancier, fouettait les rameaux bas des platanes et dessinait dans l’air le sillage de leur course.

Ils allaient de la sorte vers la statue de Paoli, comme la flèche file au but ; et lorsqu’ils arrivaient devant elle, ils la saluaient avec un tel enthousiasme qu’il était inutile de savoir le patois corse pour comprendre ce qu’ils lui disaient.

On ne parle de la sorte à un bonhomme de bronze que lorsqu’il vous répond quelque chose à l’oreille.


la peveronata et le broccio

Malgré tout l’intérêt que les souvenirs du libérateur de la Corse inspirent aux visiteurs de Corte, ma visite, à moi profane, m’en promettait un autre d’un ordre moins relevé peut-être, mais plus rare. Je désirais y manger une « peveronata ».

Qu’est-ce qu’une « peveronata » ? allez-vous dire.

Je n’en savais absolument rien moi-même. On m’avait dit seulement : « Si vous allez en Corse, ne manquez pas de vous arrêter à Corte pour y déguster la « peveronata ». Il n’y a que là qu’on sait la faire. »

« Peveronata » se traduit assez exactement par « poivrade », mais cela n’explique rien du tout.

Or donc, en arrivant à l’hôtel de l’Europe et dès le seuil, où nous attendait l’excellent M. Pierraggi, son propriétaire, mon premier cri d’affamé fut :

« Avez-vous de la « peveronata ? »

À cette question, sans doute malencontreuse, je vis notre hôte soupirer, et ses regards embrassèrent