Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/253

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mélancoliquement le vaste vignoble calciné où le microbe a mis la ruine.

« Ah ! fit-il, ce n’est pas la truite qui manque ; c’est le reste ! »

Le reste, c’était le raisin. Or, sans raisin, pas de « peveronata » !

En 1872 encore il y avait tant de raisin sous Corte, qu’après en avoir exporté pour six bons millions, les vignerons ne savaient plus que faire de ceux qui leur restaient. Ils le donnaient, et, pour retrouver un peu de place dans leurs caves, ils finirent par jeter dans la Restonica le surcroît de leur récolte.

Les truites de ce torrent sont fameuses. Elles disputent la palme de la faveur à celles du lac de Melo, dans le Rotondo, qui, à dire d’expert, sont plus maigres. Elles aiment les eaux glacées de la Restonica, où, paraît-il, les anciens Corses venaient tremper leurs épées pour leur donner une belle patine, et elles s’y engraissent à plaisir.

Quand elles reçurent dans leur neige fondue ces cascades inconnues de vin rouge, les truites s’y grisèrent. Elles s’en allaient à la dérive, le ventre en l’air, et on les prenait à la main sous les ponts.

Quelques Cortésiens eurent l’idée de cuire ces ivrognesses et de les accommoder, et ils connurent qu’elles étaient divines. La « peveronata » était inventée.

Ce n’est pas autre chose, en effet, qu’une bouillabaisse, ou soupe de poisson, à un seul poisson qui est la truite de torrent corse. Elle les vaut tous. Bouillabaisse au vin, Messieurs et Mesdames ! Mais avez-vous le cœur solide et l’estomac invulnérable ?

La truite grasse (il la faut grasse) est d’abord cuite dans l’huile d’olive, puis précipitée en un court-bouil-