Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/282

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Le temps nous manqua pour nous en assurer, comme aussi l’attrait du paysage, assez vague à cet embranchement. C’est à Folelli, en effet, que l’on quitte la Corse noire, la Corse incivilisée dont le farouche Fium’Alto jette le suprême appel pittoresque, pour entrer dans une Corse italienne marécageuse et plate.

Nous voici sur cette côte orientale au compte de laquelle on a tant écrit qu’il n’y a vraiment plus rien de nouveau à en dire : une énorme plaine de cent cinquante mille hectares, détrempée par les eaux, torréfiée par le soleil, où règne la malaria, et que les insulaires eux-mêmes ne traversent que le mouchoir à la bouche, au grand galop de leurs chevaux. C’est le royaume de la fièvre.

Ce marais pontin est si malsain que, de l’aveu d’un auteur corse même, un linge blanc, laissé le soir exposé à l’air, est relevé le lendemain matin rouge de rouille.

D’effroyables stagnations morbides formées par l’extravasement des estuaires de torrents ulcèrent ces bords de l’île et contribuent à accréditer les légendes qui la donnent pour inhabitable. Les étangs d’Urbino, de Diane, del Sale, et celui de Biguglia, devant lequel nous allons passer tout à l’heure, ne sont plus, au coucher du soleil, que des foyers de peste paludéenne. Jamais le mistral purificateur ne les évente. Aussi quelle solitude !

Il semble qu’il serait aisé de reconquérir sur la mort cette immense langue de terre corse et d’en tourner la putréfaction féconde à bénéfice pour l’agriculture. La nature indique d’elle-même le remède par les végétations luxuriantes dont elle couvre