Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/322

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il faut voir les Sarténois se promener par groupes sympathiques et se jeter des regards torves d’un clan à l’autre, pour voir où en est la réconciliation des partis en Corse. Au bout de trois jours, je sentais que je deviendrais enragé rien qu’à traverser cette place de la Discorde.

Elle est bien jolie pourtant, avec sa charmante fontaine publique, qu’animent quelques Nausicaas graves, aux gestes lents, son église, ses cafés à l’italienne et la porte romane qui ouvre là sur la vieille ville. Des balcons ouvragés, enguirlandés de plantes grimpantes, y encadrent des apparitions roses de pimpantes bourgeoises, et parfois des bergers, couverts du « pelone » traditionnel à longs poils de chèvre, la traversent en sifflant des airs de la montagne et nous lancent des regards profonds de sorciers.

L’hôtel où nous prîmes pied est tenu par un chef qui mérite de porter ce nom de César dont tout autre que lui serait écrasé. Il nous traita impérialement et de façon à nous faire regretter que son prénom ne fût pas Lucullus, car il y avait droit aussi, si les noms signifient quelque chose. C’est chez lui que je vis pour la première fois ces nacres splendides, qu’on pêche à foison dans la baie de Porto-Vecchio, dont les coquilles mesurent jusqu’à soixante centimètres et qu’il suffit de prendre à la muraille pour emplir une chambre de pourpre changeante et d’argent miroitant. Une photographie posée, dans son passe-partout, sur la cheminée du salon, avait attiré nos regards et agaçait notre mémoire rebelle. Certainement nous connaissions tous cette tête, mais aucun de nous n’arrivait à en nommer le propriétaire.