Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/327

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s’étend sur un large et beau spectacle de nature, qui se développe encore et devient plus large et plus beau du haut de certain couvent situé à droite et dédié à la Sainte Trinité. La fantaisie nous prit d’y monter et d’y suivre un vénérable Père capucin que nous apercevions sur son âne au milieu des cactus et des figuiers d’Inde d’un chemin sinueux. Or, bien nous prit de cette fantaisie.

Le couvent de la Trinité m’a laissé une impression profonde : j’y ai compris pour la première fois les délices de la vie monastique, telle, il est vrai, que la conçoivent les Italiens, c’est-à-dire dans une retraite enchantée, où tout concourt à la pacification de l’âme et au farniente mystique des sages.

Un grand jardin de pins, d’oliviers et d’orangers séculaires, aux frondaisons épaisses, aux lignes nobles comme une vision arcadienne du Poussin ; des bancs de marbre blanc, des eaux chantantes qui « ne se taisent ni nuit ni jour » et de larges pelouses de mousse vertes pour jouer aux boules, un cloître souriant et pareil à une ferme, une églisette voluptueuse où la prière sent bon, des nids d’oiseaux dans toutes les fentes de rochers, des lapins sous tous les myrtes, un air chargé d’effluves marins, une vue incomparable sur la plaine blanche et calcinée de Bonifacio, la ville au fond et, plus loin, dans les vapeurs dorées, cette améthyste, la Sardaigne ! Voilà cette Trappe !

Ah ! égrener là le rosaire d’un poème en vingt-quatre chants, ou plutôt n’y rien égrener du tout ; se laisser mollement vivre et mollement mourir et se draper, comme l’autre en son étendard, dans les pourpres du soleil couchant ! Quel rêve !

Ils le réalisent pourtant, ces heureux coquins de