Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/328

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Capucins, tandis que nous trimons pour élever des familles ? Et je pensais… (vous permettez ?) je pensais, dis-je, dans ce maquis pieux, qu’ils étaient des bandits, eux aussi, des bandits de Dieu, oui certes, mais des bandits et que nulle gendarmerie pourtant ne les inquiète.

Bonifacio est la ville la plus originale de la Corse et peut-être de l’Europe méridionale.

Mais elle a été tant de fois décrite et elle change si peu, que je n’arriverais qu’à ressasser ce qu’en ont écrit les voyageurs, tous unanimes dans leurs transports. Il est singulier que leurs récits n’aient déterminé aucun peintre à venir exploiter la mine inépuisable de ses thèmes décoratifs ; il y en a pour toutes les palettes. Lorsque ma colonie de l’Algajola sera installée, je l’emmènerai à Bonifacio prendre un air de ballade, et je crains bien que quelques-uns n’y restent.

Bonifacio est ciselé dans un bloc de craie.

C’est un promontoire calcaire que la mer ronge tous les jours par sa base et qui s’avance au-dessus des îlots furibonds comme un éperon de navire.

Il est inconcevable que cette presqu’île friable attienne encore à l’île de Corse, et l’un de ces quatre matins on entendra dire qu’elle s’en est détachée et que la ville s’est effondrée dans l’eau. Ce jour-là Sartène deviendra port de mer.

La falaise terrifiante qui supporte, on ne sait par quel miracle, les maisons, d’ailleurs abandonnées par ordre, du quartier de la Citadelle, ouvre sur l’abîme des gueules de cinquante mètres de profondeur, dont les dents sont d’énormes blocs modelés en molaires, et bavant l’écume éternelle.