Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On travaillait ferme, lors de notre passage à Bonifacio, en octobre 1887, aux fortifications nouvelles de la ville, dont on veut faire un petit Gibraltar corse à cause de certaine île italienne située en face et nommée Magdalena, que le brave roi Humbert arme à tour de bras pour prouver ses intentions pacifiques à notre égard. Nous visitâmes les travaux du génie militaire et nous descendîmes dans des tranchées ayant bon air et qui sont de belles tranchées. Le prince, qui s’y connaît, les admira fort.

Pour moi, profane, qui n’entends goutte à l’art des contrescarpes, j’étais remonté sur la terrasse, et je contemplais, dans la transparence de l’air, le splendide panorama des Bouches de Bonifacio. Un aimable citadin, qui nous escortait par la ville, me désigna l’îlot de Lavezzi, écueil granitique, où naufragea La Sémillante avec ses douze cents passagers, dont pas un n’échappa à la mort. « Pendant un mois, me disait-il, on ne fut occupé à Bonifacio qu’à recueillir les cadavres de ces infortunés, dans les grottes, sur les bords, jusque dans le port même. On en retrouva plus d’un millier. Ils ont un cimetière à eux tous seuls.

Puis il me montra la Sardaigne, dont on pouvait distinguer avec la lorgnette la première ville blanche sur un fond de montagne sombre.

« Encore un beau pays à visiter pour vous ! Quel dommage qu’il soit impraticable !

— Pourquoi impraticable ?

— À cause du brigandage effréné qui y règne. Ah ! monsieur, on parle de nos bandits corses ! Qu’est-ce auprès des brigands sardes ? Je possède, moi qui vous parle, aux environs de la ville blanche que vous