Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/333

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forme au génie à la fois guerrier et religieux de cet ordre puissant, dont les chevaliers ont laissé une réputation si étrange qu’on ne sait encore que penser de leur rôle dans la chrétienté.

C’est en cette église des Templiers que j’ai vu le plus admirable petit chemin de croix du monde. Quatorze panneaux de bois de trente centimètres, d’une peinture si libre, si délicieusement conduite par touches lumineuses et d’un art de composition tellement saisissant, que s’ils ne sont pas de Watteau je ne sais pas de qui ils peuvent être. On est sûr d’ailleurs que le maître en a exécuté quelques-uns pour son professeur Gillot et qu’il gagna d’abord sa vie avec des tableaux de sainteté. Est-ce un de ses chemins de croix qui est venu échouer à Bonifacio, dans l’église des Templiers ?

Les grottes de Bonifacio sont entre les plus célèbres de l’Europe. Il y en a trois, auxquelles on n’aborde que par mer. Le mauvais temps nous priva du plaisir de les voir, et nous ne trouvâmes point de batelier qui consentît à nous y conduire, tant la vague déferlait sur le promontoire et tant le vent y faisait rage. C’est le seul regret que j’aie laissé en Corse. On trouvera des descriptions magnifiques de ces églises de mer dans les ouvrages relatifs à l’île, et notamment dans Gregorovius, qui y épuise son enthousiasme.

Notre excursion de six semaines en Corse s’est terminée à Porto-Vecchio.

Porto-Vecchio, dont j’ai déjà célébré plus haut les étonnantes nacres et qui s’enrichirait rien qu’en les exploitant, est un bourg de près de trois mille enragés qui ne s’occupent que de politique et ou-