Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/366

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Il est certain que je n’aime ni le succès ni l’argent. À dix-huit ans déjà ces deux biens « modernes » me laissaient froid. J’ai perdu des héritages certains pour ne pas avoir voulu me déranger d’un poème, vécu ou rêvé. J’ai renoncé à exploiter des filons de réussite par dégoût de la monotonie de cette exploitation. Au fond, je crois que je n’aime que le travail, et pour lui seul, là serait ma défaillance artistique, ma paille, puisqu’il est certain que j’en ai une, aux yeux mêmes de ceux qui m’aiment.

Le jour même où cette petite pièce fut reçue à la Comédie-Française, l’excellent Claretie, plus heureux que moi de cette bonne fortune, s’exaltait dans son cabinet à l’idée des « sommes » qu’elle allait me rapporter. — Un acte ici, s’écriait-il, c’est une ferme en Beauce ! — Parbleu ! lui dis-je, j’aimerais mieux en avoir chez vous, des actes, et même ailleurs, — cinq, qui ne me rapporteraient rien du tout, et l’année suivante cinq autres qui m’endetteraient !… Et Claretie secoua la tête, car il ne me croyait pas. C’était cependant la vérité vraie, et toujours je pense de la sorte. Je suis évidemment indécrottable.

Aussi ne me flatté-je point d’être un homme de mon temps, oh ! non, par exemple ! Soit que j’avance ou que je retarde, à votre choix, j’anachronise visiblement. Mais il n’en nuit qu’à moi, et je ne fais de tort à personne par cette anomalie tout à fait isolante.

Elle aura créé cependant un phénomène extrêmement curieux et, ce me semble, unique dans les Lettres françaises, sur lequel je vous demande la permission de m’expliquer un peu. — La diversité des recherches auxquelles je me suis adonné, en artiste honnête, et par horreur de cette illusion sotte