Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— On me fait crédit de tout, me disait-il en riant, sur la foi de quelques dons naturels, et d’une illustre partenaire. — Et il m’avouait que, hors de la scène, le temps lui paraissait long à périr et qu’il s’ennuyait comme le croûton de pain métaphorique derrière la malle abandonnée. Je ne sus que plus tard à quelle cause il fallait attribuer cette dépression spleenétique dont il n’était vainqueur qu’à la lumière du lustre. Mais à cette époque il n’abusait pas encore de la morphine et l’on n’était pas forcé de lui soustraire, par ruse ou violence, les provisions qu’il s’en procurait secrètement dans toutes les villes de l’itinéraire de la troupe.

Ainsi que Jojotte m’y avait engagé, j’allai le voir au théâtre Bellecour jouer Hernani et comme il ne me révélait rien de bien original dans l’interprétation de ce Cid du romantisme, je montai sur le plateau pour tuer le temps. Les coulisses et la loge, toujours fleurie de Sarah, étaient, comme à l’ordinaire, encombrées de ces soupirants que toute comédienne, et celle-là plus que toute autre, échelonne sur son passage. Il y en avait de si baveux qu’ils faisaient peine, et de si grotesques qu’il fallait se tenir aux portants pour ne pas en tomber de rire. Damala ne leur épargnait pas les charges dites d’atelier et il leur montait des « scies » d’autant plus féroces que sa qualité de « ri de la reine » les drôlifiait irrésistiblement. Il y en avait un que je vois encore, espèce de mannequin, hoffmannesque et ataxique, dont la musculature était si mal graissée que tout geste lui suspendait en l’air le membre déplacé, bras ou jambe, comme à l’automate dont le ressort, cric crac, s’arrête. Hernani s’acharnait à l’appeler : Monsieur de