Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/102

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notre ignorance d’un avenir qui serait présent et à tenir la durée pour une pure négation, une « privation d’éternité ». Fatalement nous revenons à la théorie platonicienne. Mais puisque cette conception doit surgir de ce que nous n’avons aucun moyen de limiter au passé notre représentation spatiale du temps écoulé, il est possible que la conception soit erronée, et il est en tous cas certain que c’est une pure construction de l’esprit. Tenons-nous en alors à l’expérience.

Si le temps a une réalité positive, si le retard de la durée sur l’instantanéité représente une certaine hésitation ou indétermination inhérente à une certaine partie des choses qui tient suspendue à elle tout le reste, enfin s’il y a évolution créatrice, je comprends très bien que la partie déjà déroulée du temps apparaisse comme juxtaposition dans l’espace et non plus comme succession pure ; je conçois aussi que toute la partie de l’univers qui est mathématiquement liée au présent et au passé — c’est-à-dire le déroulement futur du monde inorganique — soit représentable par le même schéma (nous avons montré jadis qu’en matière astronomique et physique la prévision est en réalité une vision). On pressent qu’une philosophie où la durée est tenue pour réelle et même pour agissante pourra fort bien admettre l’Espace-Temps de Minkowski et d’Einstein (où d’ailleurs la quatrième dimension dénommée temps n’est plus, comme