Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/75

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la part de la vérité ou de l’erreur, c’est d’apercevoir nettement où finit l’expérience, où commence l’hypothèse. Il n’est pas douteux que notre conscience se sente durer, ni que notre perception fasse partie de notre conscience, ni qu’il entre quelque chose de notre corps, et de la matière qui nous environne, dans notre perception[1] : ainsi, notre durée et une certaine participation sentie, vécue, de notre entourage matériel à cette durée intérieure sont des faits d’expérience. Mais d’abord, comme nous le montrions jadis, la nature de cette participation est inconnue : elle pourrait tenir à une propriété qu’auraient les choses extérieures, sans durer elles-mêmes, de se manifester dans notre durée en tant qu’elles agissent sur nous et de scander ou de jalonner ainsi le cours de notre vie consciente[2]. Puis, à supposer que cet entourage « dure », rien ne prouve rigoureusement que nous retrouvions la même durée quand nous changeons d’entourage : des durées différentes, je veux dire diversement rythmées, pourraient coexister. Nous avons fait jadis une hypothèse de ce genre en ce qui concerne les espèces vivantes. Nous distinguions des durées à tension plus ou moins haute, caractéristiques des divers degrés de conscience, qui s’échelonneraient le long du règne animal. Toute

  1. Voir Matière et Mémoire, chap. I.
  2. Cf. Essai sur les données immédiates de la conscience, en particulier p. 82 et suiv.