Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/120

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sorte, le point d’intersection ; c’est la loi qui deviendrait, dans cette hypothèse, la réalité fondamentale. — Que si, mainte­nant, on cherchait pourquoi les uns attribuent au fait et les autres à la loi une réalité supérieure, on trouverait, croyons-nous, que le mécanisme et le dynamisme prennent le mot simplicité dans deux sens très différents. Est simple, pour le premier, tout principe dont les effets se prévoient et même se calculent : la notion d’inertie devient ainsi, par définition même, plus simple que celle de liberté, l’homogène plus simple que l’hétérogène, l’abstrait plus simple que le concret. Mais le dynamisme ne cherche pas tant à établir entre les notions l’ordre le plus commode qu’à en retrouver la filiation réelle : souvent, en effet, la prétendue notion simple — celle que le mécaniste tient pour primitive — a été obtenue par la fusion de plusieurs notions plus riches qui en paraissent dériver, et qui se sont neutralisées l’une l’autre dans cette fusion même, comme une obscurité naît de l’interférence de deux lumières. Envisagée de ce nouveau point de vue, l’idée de spontanéité est incontesta­blement plus simple que celle d’inertie, puisque la seconde ne saurait se comprendre ni se définir que par la première, et que la première se suffit. Chacun de nous a en effet le sentiment immédiat, réel ou illusoire, de sa libre spontanéité, sans que l’idée d’inertie entre pour quoi que ce soit dans cette représentation. Mais pour définir l’inertie de la matière, on dira qu’elle ne peut se mouvoir d’elle-même ni d’elle-même s’arrêter, que tout corps persévère dans le repos ou le mouvement tant qu’aucune force n’intervient : et, dans les deux cas, c’est à l’idée d’activité qu’on se reporte nécessairement. Ces diverses considérations nous permettent de comprendre pourquoi, a priori, on aboutit à deux conceptions opposées de l’activité humaine, selon la manière dont on entend le rapport du concret à l’abstrait, du simple au complexe, et des faits aux lois.