Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/130

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nous accordera du moins que l’hypothèse d’un retour en arrière devient inintelligible dans la région des faits de conscience. Une sensation, par cela seul qu’elle se prolonge, se modifie au point de devenir insupportable. Le même ne demeure pas ici le même, mais se renforce et se grossit de tout son passé. Bref, si le point matériel, tel que la mécanique l’entend, demeure dans un éternel présent, le passé est une réalité pour les corps vivants peut-être, et à coup sûr pour les êtres conscients. Tandis que le temps écoulé ne constitue ni un gain ni une perte pour un système supposé conservatif, c’est un gain, sans doute, pour l’être vivant, et incontes­tablement pour l’être conscient. Dans ces conditions, ne peut-on pas invoquer des présomptions en faveur de l’hypothèse d’une force consciente ou volonté libre, qui, soumise à l’action du temps et emmagasinant la durée, échapperait par là même à la loi de conservation de l’énergie ?

À vrai dire, ce n’est pas la nécessité de fonder la science, c’est bien plutôt une erreur d’ordre psychologique qui a fait ériger ce principe abstrait de mécanique en loi universelle. Comme nous n’avons point coutume de nous observer directement nous-mêmes, mais que nous nous apercevons à travers des formes empruntées au monde extérieur, nous finissons par croire que la durée réelle, la durée vécue par la conscience, est la même que cette durée qui glisse sur les atomes inertes sans y rien changer. De là vient que nous ne voyons pas d’absurdité, une fois le temps écoulé, à remettre les choses en place, à supposer les mêmes motifs agissant de nouveau sur les mêmes personnes, et à conclure que ces causes produiraient encore le même effet. Nous nous proposons de montrer un peu plus loin que cette hypothèse est inintelligible. Bornons-nous, pour le moment, à constater qu’une fois engagé dans cette voie, on aboutit fatalement à ériger le principe de la conservation de l’énergie en loi