Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/131

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universelle. C’est qu’on a précisément fait abstraction de la différence fondamentale qu’un examen attentif nous révèle entre le monde extérieur et le monde interne : on a identifié la durée vraie avec la durée apparente. Dès lors il y aurait absurdité à jamais considérer le temps, même le nôtre, comme une cause de gain ou de perte, comme une réalité concrète, comme une force à sa manière. Aussi, tandis qu’abstraction faite de toute hypothèse sur la liberté on se bornerait à dire que la loi de conservation de l’énergie régit les phénomènes physiques en attendant que les faits psycho­logiques la confirment, on dépasse infiniment cette proposition, et, sous l’influence d’un préjugé métaphysique, on avance que le principe de la conservation de la force s’appliquera à la totalité des phénomènes tant que les faits psychologiques ne lui auront pas donné tort. La science proprement dite n’a donc rien à voir ici ; nous sommes en présence d’une assimilation arbitraire de deux conceptions de la durée qui, selon nous, diffèrent profondément. Bref, le prétendu déterminisme physique se réduit, au fond, à un déterminisme psychologique, et c’est bien cette dernière doctrine, comme nous l’annoncions tout d’abord, qu’il s’agit d’examiner.

Le déterminisme psychologique, sous sa forme la plus précise et la plus récente, implique une conception associationniste de l’esprit. On se représente l’état de conscience actuel comme nécessité par les états antérieurs, et pourtant on sent bien qu’il n’y a point là une nécessité géométrique, comme celle qui lie une résultante, par exemple, aux mouvements composants. Car il existe entre des états de conscience successifs une différence de qualité, qui fait que l’on échouera toujours à déduire l’un d’eux, a priori, de ceux qui le précèdent. On s’adresse alors à l’expérience, et on lui demande de montrer que le