Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/170

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qui se produit, mais un mouvement que l’on pense ; c’est un rapport entre des rapports. On admet, sans bien s’en rendre compte peut-être, que le mouvement est un fait de con­science, qu’il y a dans l’espace des simultanéités seulement, et l’on nous fournit le moyen de calculer ces rapports de simultanéité pour un moment quelconque de notre durée. Nulle part le mécanisme n’a été poussé plus loin que dans ce système, puisque la forme même des éléments ultimes de la matière y est ramenée à un mouvement. Mais déjà la physique cartésienne pourrait s’interpréter dans un sens analogue ; car, si la matière se réduit, com­me le veut Descartes, à une étendue homogène, les mouvements des parties de cette étendue peuvent se concevoir par la loi abstraite qui y préside ou par une équation algébrique entre des grandeurs variables, mais non pas se représenter sous forme concrète d’images. Et l’on prouverait sans peine que, plus le progrès des explications mécaniques permet de développer cette conception de la causalité et d’alléger par conséquent l’atome du poids de ses propriétés sensibles, plus l’existence concrète des phénomènes de la nature tend à s’évanouir ainsi en fumée algébrique.

Ainsi entendu, le rapport de causalité est un rapport nécessaire en ce sens qu’il se rapprochera indéfiniment du rapport d’identité, comme une courbe de son asymptote. Le principe d’identité est la loi absolue de notre conscience ; il affirme que ce qui est pensé est pensé au moment où on le pense ; et ce qui fait l’absolue nécessité de ce principe, c’est qu’il ne lie pas l’avenir au présent, mais seulement le présent au présent : il exprime la confiance inébranlable que la conscience se sent en elle-même, tant que, fidèle à son rôle, elle se borne à constater l’état actuel apparent de l’âme. Mais le principe de causalité, en tant qu’il lierait l’avenir au présent, ne prendrait jamais la forme d’un prin­cipe nécessaire ; car les moments successifs