Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/174

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ne sera peut-être pas suivie de l’action correspondante. Mais on ne s’étonnera pas que cette approximation suffise au sens commun, si l’on songe à la facilité avec laquelle les enfants et les peuples primitifs acceptent l’idée d’une nature inconstante, où le caprice joue un rôle non moins important que la nécessité. Et cette représentation de la causalité sera plus accessible à l’intelligence commune, puisqu’elle n’exige aucun effort d’abstraction, et qu’elle implique seulement une certaine analogie entre le monde extérieur et le monde interne, entre la succession des phénomènes objectifs et celle des faits de conscience.

À vrai dire, cette seconde conception du rapport de la cause à l’effet est plus naturelle que la première, en ce qu’elle répond tout de suite au besoin d’une représentation. N’avons-nous pas dit, en effet, que si nous cherchons le phénomène B au sein même du phénomène A qui le précède régulièrement, c’est parce que l’habitude d’associer les deux images finit par nous donner l’idée du second phénomène comme enveloppée dans celle du premier ? Il est naturel que nous poussions cette objectivation jusqu’au bout, et que nous fassions du phénomène A lui-même un état psychique où le phénomène B serait contenu sous forme de représentation confuse. Nous nous bornons par là à supposer que la liaison objective des deux phénomènes est semblable à l’association subjective qui nous en a suggéré l’idée. Les qualités des choses deviendront ainsi de véritables états, assez analogues à ceux de notre moi ; on attribuera à l’univers matériel une personnalité vague, diffuse à travers l’espace, et qui, sans être précisément douée d’une volonté consciente, passe d’un état à l’autre en vertu d’une poussée interne, en vertu d’un effort. Tel fut l’hylozoïsme antique, hypothèse timide et même contradictoire, qui conservait à la matière son étendue tout en lui attribuant de véritables états de con­science, et déroulait les qualités de la matière le long de l’étendue en