Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/176

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déterminisme qui a son origine dans la nécessité d’admettre une harmonie préétablie, et point du tout dans la conception dynamique du rapport de causalité. Mais laissons de côté l’histoire. La conscience témoigne que l’idée abstraite de force est celle d’effort indéterminé, celle d’un effort qui n’a pas encore abouti à l’acte et où cet acte n’existe encore qu’à l’état d’idée. En d’autres termes, la conception dynamique du rapport de causalité attribue aux choses une durée tout à fait analogue à la nôtre, de quelque nature que cette durée puisse être : se représenter ainsi la relation de cause à effet, c’est suppo­ser que l’avenir n’est pas plus solidaire du présent dans le monde extérieur qu’il ne l’est pour notre propre conscience.

Il résulte de cette double analyse que le principe de causalité renferme deux conceptions contradictoires de la durée, deux images non moins incom­patibles de la préformation de l’avenir an sein du présent. Tantôt on se représente tous les phénomènes, physiques ou psychologiques, comme durant de la même manière, comme durant à notre manière par conséquent ; l’avenir n’existera alors dans le présent que sous forme d’idée, et le passage du présent à l’avenir prendra l’aspect d’un effort, qui n’aboutit pas toujours à la réalisation de l’idée conçue. Tantôt au contraire on fait de la durée la forme propre des états de conscience ; les choses ne durent plus alors comme nous, et l’on admet pour les choses une préexistence mathématique de l’avenir dans le présent. D’ailleurs chacune de ces hypothèses, prise à part, sauvegarde la liberté humaine ; car la première aboutirait à mettre la contingence jusque dans les phénomènes de la nature ; et la seconde, en attribuant la détermi­nation nécessaire des phénomènes physiques à ce que les choses ne durent pas comme nous, nous invite précisément à faire du moi qui dure une force libre. C’est pourquoi toute conception claire de la causalité, et où l’on s’entend avec soi-même, conduit à l’idée de la liberté