Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/189

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comme donné à l’avance : ce qui revient, ainsi que nous l’avons montré, à traiter la durée comme une chose homogène et les intensités comme des grandeurs. Ou bien encore on dira que l’acte est déterminé par ses conditions, sans s’apercevoir que l’on joue sur le double sens du mot causalité, et qu’on prête ainsi à la durée, tout à la fois, deux formes qui s’excluent. Ou bien enfin on invoquera le principe de la conservation de l’énergie, sans se demander si ce principe est également applicable aux moments du monde extérieur, qui s’équivalent, et aux moments d’un être à la fois vivant et conscient, qui se grossissent les uns aux autres. De quelque manière, en un mot, qu’on envisage la liberté, on ne la nie qu’à la condition d’identifier le temps avec l’espace ; on ne la définit qu’à la condition de demander à l’espace la représentation adéquate du temps ; on ne discute sur elle, dans un sens ou dans l’autre, qu’à la condition de confondre préalablement succession et simultanéité. Tout déterminisme sera donc réfuté par l’expérience, mais toute définition de la liberté donnera raison au déterminisme.

Recherchant alors pourquoi cette dissociation de la durée et de l’étendue, que la science opère si naturellement dans le monde extérieur, demande un tel effort et excite une telle répugnance quand il s’agit des états internes, nous n’avons pas tardé, à en apercevoir la raison. La science a pour principal objet de prévoir et de mesurer : or on ne prévoit les phénomènes physiques qu’à la condition de supposer qu’ils ne durent pas comme nous, et on ne mesure que de l’espace. La rupture s’est donc effectuée ici d’elle-même entre la qualité et la quantité, , entre la vraie durée et la pure étendue. Mais quand il s’agit de nos états de conscience, nous avons tout intérêt à entretenir l’illusion par laquelle nous les faisons participer à l’extériorité réciproque des choses extérieures, parce que cette distinction, et en même temps cette solidification, nous per­mettent