Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/45

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instantanément à votre esprit quand vous érigez l’intensité du son en grandeur. Wundt[1] a attiré l’attention sur les liaisons toutes particulières de filets nerveux vocaux et auditifs qui s’effectuent dans le cerveau humain. N’a-t-on pas dit qu’entendre, c’est se parler à soi-même ? Certains névropathes ne peuvent assister à une conversation sans remuer les lèvres ; ce n’est là qu’une exagération de ce qui se passe chez chacun de nous. Comprendrait-on le pouvoir expressif ou plutôt suggestif de la musique, si l’on n’admettait pas que nous répétons intérieurement les sons entendus, de manière à nous replacer dans l’état psychologique d’où ils sont sortis, état original, qu’on ne saurait exprimer, mais que les mouvements adoptés par l’ensemble de notre corps nous suggèrent ?

Quand nous parlons de l’intensité d’un son de force moyenne comme d’une grandeur, nous faisons donc surtout allusion au plus ou moins grand effort que nous aurions à fournir pour nous procurer à nouveau la même sensation auditive. Mais, à côté de l’intensité, nous distinguons une autre propriété caractéristique du son, la hauteur. Les différences de hauteur, telles que notre oreille les perçoit, sont-elles des différences quantitatives ? Nous accordons qu’une acuité supérieure de son évoque l’image d’une situation plus élevée dans l’espace. Mais suit-il de là que les notes de la gamme, en tant que sensa­tions auditives, diffèrent autrement que par la qualité ? Oubliez ce que la physique vous a appris, examinez avec soin l’idée que vous avez d’une note plus ou moins haute, et dites si vous ne pensez pas tout simplement au plus ou moins grand effort que le muscle tenseur de vos cordes vocales aurait à fournir pour donner la note à son tour ? Comme l’effort par lequel votre voix passe d’une note à la suivante est discontinu, vous vous représentez ces notes successives

  1. Psychologie physiologique, trad. fr., tome II, p. 497.