Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/77

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implique une multiplicité de parties, perçues simultanément.

Or, si l’on admet cette conception du nombre, on verra que toutes choses ne se comptent pas de la même manière, et qu’il y a deux espèces bien diffé­rentes de multiplicité. Quand nous parlons d’objets matériels, nous faisons allusion à la possibilité de les voir et de les toucher ; nous les localisons dans l’espace. Dès lors, aucun effort d’invention ou de représentation symbolique ne nous est nécessaire pour les compter ; nous n’avons qu’à les penser séparément d’abord, simultanément ensuite, dans le milieu même où ils se présentent à notre observation. Il n’en est plus de même si nous considérons des états purement affectifs de l’âme, ou même des représentations autres que celles de la vue et du toucher. Ici, les termes n’étant plus donnés dans l’espace, on ne pourra guère les compter, semble-t-il, a priori, que par quelque proces­sus de figuration symbolique. Il est vrai que ce mode de représentation paraît tout indiqué lorsqu’il s’agit de sensations dont la cause est évidemment située dans l’espace. Ainsi, quand j’entends un bruit de pas dans la rue, je vois confusément la personne qui marche ; chacun des sons successifs se localise alors en un point de l’espace où le marcheur pourrait poser le pied ; je compte mes sensations dans l’espace même où leurs causes tangibles s’alignent. Peut-être quelques-uns comptent-ils d’une manière analogue les coups successifs d’une cloche lointaine leur imagination se figure la cloche qui va et qui vient cette représentation de nature spatiale leur suffit pour les deux premières unités ; les autres unités suivent naturellement. Mais la plupart des esprits ne procèdent pas ainsi : ils alignent les sons successifs dans un espace idéal, et s’imaginent compter alors les sons dans la pure durée. Il faut pourtant s’entendre