Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/78

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sur ce point. Certes, les sons de la cloche m’arrivent successive­ment ; mais de deux choses l’une. Ou je retiens chacune de ces sensations successives pour l’organiser avec les autres et former un groupe qui me rappelle un air ou un rythme connu : alors je ne compte pas les sons, je me borne à recueillir l’impression pour ainsi dire qualitative que leur nombre fait sur moi. Ou bien je me propose explicitement de les compter, et il faudra bien alors que je les dissocie, et que cette dissociation s’opère dans quelque milieu homogène où les sons, dépouillés de leurs qualités, vidés en quelque sorte, laissent des traces identiques de leur passage. Reste à savoir, il est vrai, si ce milieu est du temps ou de l’espace. Mais un moment du temps, nous le répétons, ne saurait se conserver pour s’ajouter à d’autres. Si les sons se disso­cient, c’est qu’ils laissent entre eux des intervalles vides. Si on les compte, c’est que les intervalles demeurent entre les sons qui passent : comment ces intervalles demeureraient-ils, s’ils étaient durée pure, et non pas espace ? C’est donc bien dans l’espace que s’effectue l’opération. Elle devient d’ailleurs de plus en plus difficile à mesure que nous pénétrons plus avant dans les profon­deurs de la conscience. Ici nous nous trouvons en présence d’une multiplicité confuse de sensations et de sentiments que l’analyse seule distingue. Leur nombre se confond avec le nombre même des moments qu’ils remplissent quand nous les comptons ; mais ces moments susceptibles de s’additionner entre eux sont encore des points de l’espace. D’où résulte enfin qu’il y a deux espèces de multiplicité : celle des objets matériels, qui forme un nombre immédiatement, et celle des faits de conscience, qui ne saurait prendre l’aspect d’un nombre sans l’intermédiaire de quelque représentation symbolique, où intervient nécessairement l’espace.

À vrai dire, chacun de nous établit une distinction