Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/93

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d’une phrase musicale qui serait toujours sur le point de finir et sans cesse se modifierait dans sa totalité par l’addition de quelque note nouvelle. Si nous affirmons que c’est toujours la même sensation, c’est que nous songeons, non à la sensation même, mais à sa cause objective, située dans l’espace. Nous la déployons alors dans l’espace à son tour, et au lieu d’un organisme qui se développe, au lieu de modifications qui se pénètrent les unes les autres, nous apercevons une même sensation s’étendant en longueur, pour ainsi dire, et se juxtaposant indéfiniment à elle-même. La vraie durée, celle que la conscience perçoit, devrait donc être rangée parmi les grandeurs dites intensives, si toutefois les intensités pouvaient s’appeler des grandeurs ; à vrai dire, ce n’est pas une quantité, et dès qu’on essaie de la mesurer, on lui substitue inconsciemment de l’espace.

Mais nous éprouvons une incroyable difficulté à nous représenter la durée dans sa pureté originelle ; et cela tient, sans doute, à ce que nous ne durons pas seuls : les choses extérieures, semble-t-il, durent comme nous, et le temps, envisagé de ce dernier point de vue, a tout l’air d’un milieu homogène. Non seulement les moments de cette durée paraissent extérieurs les uns aux autres, comme le seraient des corps dans l’espace, mais le mouvement perçu par nos sens est le signe en quelque sorte palpable d’une durée homogène et mesu­rable. Bien plus, le temps entre dans les formules de la mécanique, dans les calculs de l’astronome et même du physicien, sous forme de quantité. On mesure la vitesse d’un mouvement, ce qui implique que le temps lui aussi, est une grandeur. L’analyse même que nous venons de tenter demande à être complétée, car si la durée proprement dite ne se mesure pas, qu’est-ce donc que les oscillations du pendule mesurent ? À la rigueur, on admettra que la durée interne, perçue par la conscience, se confonde avec l’emboîtement