Il s’en faut d’ailleurs que le schéma reste immuable à travers l’opération. Il est modifié par les images mêmes dont il cherche à se remplir. Parfois il ne reste plus rien du schéma primitif dans l’image définitive. À mesure que l’inventeur réalise les détails de sa machine, il renonce à une partie de ce qu’il en voulait obtenir, ou il en obtient autre chose. Et, de même, les personnages créés par le romancier et le poète réagissent sur l’idée ou le sentiment qu’ils sont destinés à exprimer. Là est surtout la part de l’imprévu ; elle est, pourrait-on dire, dans le mouvement par lequel l’image se retourne vers le schéma pour le modifier ou le faire disparaître. Mais l’effort proprement dit est sur le trajet du schéma, invariable ou changeant, aux images qui doivent le remplir.
Il s’en faut aussi que le schéma précède toujours l’image explicitement. M. Ribot a montré qu’il fallait distinguer deux formes de l’imagination créatrice, l’une intuitive, l’autre réfléchie. « La première va de l’unité aux détails… la seconde marche des détails à l’unité vaguement entrevue. Elle débute par un fragment qui sert d’amorce et se complète peu à peu… Képler a consacré une partie de sa vie à essayer des hypothèses bizarres jusqu’au jour où, ayant découvert l’orbite elliptique de Mars, tout son travail antérieur prit corps et s’organisa en système[1]. » En d’autres termes, au lieu d’un schéma unique, aux formes immobiles et raides, dont on se donne tout de suite la conception distincte, il peut y avoir un schéma élastique ou mouvant, dont l’esprit se refuse à arrêter les contours, parce qu’il attend sa décision des
- ↑ Ribot, op. cit., p. 133.