Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
L’ÉVOLUTION DE LA VIE

sentants les plus éminents de la doctrine, le naturaliste américain Cope[1]. Le néo-lamarckisme est donc, de toutes les formes actuelles de l’évolutionisme, la seule qui soit capable d’admettre un principe interne et psychologique de développement, encore qu’il n’y fasse pas nécessairement appel. Et c’est aussi le seul évolutionisme qui nous paraisse rendre compte de la formation d’organes complexes identiques sur des lignes indépendantes de développement. On conçoit, en effet, que le même effort pour tirer parti des mêmes circonstances aboutisse au même résultat, surtout si le problème posé par les circonstances extérieures est de ceux qui n’admettent qu’une solution. Reste à savoir si le terme « effort » ne doit pas se prendre alors dans un sens plus profond, plus psychologique encore qu’aucun néo-lamarckien ne le suppose.

Autre chose est en effet une simple variation de grandeur, autre chose un changement de forme. Qu’un organe puisse se fortifier et s’accroître par l’exercice, nul ne le contestera. Mais il y a loin de là au développement progressif d’un œil comme celui des Mollusques et des Vertébrés. Si c’est à la prolongation de l’influence de la lumière, passivement reçue, qu’on attribue cet effet, on retombe sur la thèse que nous venons de critiquer. Si, au contraire, c’est bien une activité interne qu’on invoque, alors il s’agit de tout autre chose que de ce que nous appelons d’ordinaire un effort, car jamais l’effort n’a produit devant nous la moindre complication d’un organe, et pourtant il a fallu un nombre énorme de ces complications, admirablement coordonnées entre elles, pour passer de la tache pigmentaire de l’Infusoire à l’œil du Ver-

  1. Cope, The origine of the fittest, 1887 ; The primary factors of organic evolution, 1896.