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L’ÉLAN VITAL

agit, on ne voit pas comment elle obtiendrait un changement aussi profond qu’un accroissement de complexité : tout au plus serait-ce concevable si les caractères acquis se transmettaient régulièrement, de manière à s’additionner entre eux ; mais cette transmission paraît être l’exception plutôt que la règle. Un changement héréditaire et de sens défini, qui va s’accumulant et se composant avec lui-même de manière à construire une machine de plus en plus compliquée, doit sans doute se rapporter à quelque espèce d’effort, mais à un effort autrement profond que l’effort individuel, autrement indépendant des circonstances, commun à la plupart des représentants d’une même espèce, inhérent aux germes qu’ils portent plutôt qu’à leur seule substance, assuré par là de se transmettre à leurs descendants.

Nous revenons ainsi, par un long détour, à l’idée d’où nous étions partis, celle d’un élan originel de la vie, passant d’une génération de germes à la génération suivante de germes par l’intermédiaire des organismes développés qui forment entre les germes le trait d’union. Cet élan, se conservant sur les lignes d’évolution entre lesquelles il se partage, est la cause profonde des variations, du moins de celles qui se transmettent régulièrement, qui s’additionnent, qui créent des espèces nouvelles. En général, quand des espèces ont commencé à diverger à partir d’une souche commune, elles accentuent leur divergence à mesure qu’elles progressent dans leur évolution. Pourtant, sur des points définis, elles pourront et devront même évoluer identiquement si l’on accepte l’hypothèse d’un élan commun. C’est ce qu’il nous reste à montrer d’une manière plus précise sur l’exemple même que nous avons choisi, la formation de l’œil chez les Mollusques et chez les Ver-