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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

multiplient au contraire les déviations, les arrêts et les reculs. Le philosophe, qui avait commencé par poser en principe que chaque détail se rattache à un plan d’ensemble, va de déception en déception le jour où il aborde l’examen des faits ; et comme il avait tout mis sur le même rang, il en arrive maintenant, pour n’avoir pas voulu faire la part de l’accident, à croire que tout est accidentel. Il faut commencer au contraire par faire à l’accident sa part, qui est très grande. Il faut reconnaître que tout n’est pas cohérent dans la nature. Par là on sera conduit à déterminer les centres autour desquels l’incohérence cristallise. Et cette cristallisation même clarifiera le reste ; les grandes directions apparaîtront, où la vie se meut en développant l’impulsion originelle. On n’assistera pas, il est vrai, à l’accomplissement détaillé d’un plan. Il y a plus et mieux ici qu’un plan qui se réalise. Un plan est un terme assigné à un travail : il clôt l’avenir dont il dessine la forme. Devant l’évolution de la vie, au contraire, les portes de l’avenir restent grandes ouvertes. C’est une création qui se poursuit sans fin en vertu d’un mouvement initial. Ce mouvement fait l’unité du monde organisé, unité féconde, d’une richesse infinie, supérieure à ce qu’aucune intelligence pourrait rêver, puisque l’intelligence n’est qu’un de ses aspects ou de ses produits.

Mais il est plus facile de définir la méthode que de l’appliquer. L’interprétation complète du mouvement évolutif dans le passé, tel que nous le concevons, ne serait possible que si l’histoire du monde organisé était faite. Nous sommes loin d’un pareil résultat. Les généalogies qu’on propose pour les diverses espèces sont, le plus souvent, problématiques. Elles varient avec les auteurs, avec les vues théoriques dont elles s’inspirent, et soulèvent des débats que l’état actuel de la science ne permet pas de