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LA PLANTE ET L’ANIMAL

d’hui et chez la plante et chez l’animal. La proportion seule diffère. D’ordinaire, l’une des deux tendances recouvre ou écrase l’autre, mais, dans des circonstances exceptionnelles, celle-ci se dégage et reconquiert la place perdue. La mobilité et la conscience de la cellule végétale ne sont pas à ce point endormies qu’elles ne puissent se réveiller quand les circonstances le permettent ou l’exigent. Et, d’autre part, l’évolution du règne animal a été sans cesse retardée, ou arrêtée, ou ramenée en arrière par la tendance qu’il a conservée à la vie végétative. Si pleine, si débordant que puisse en effet paraître l’activité d’une espèce animale, la torpeur et l’inconscience la guettent. Elle ne soutient son rôle que par un effort, au prix d’une fatigue. Le long de la route sur laquelle l’animal a évolué, des défaillances sans nombre se sont produites, des déchéances qui se rattachent pour la plupart à des habitudes parasitaires ; ce sont autant d’aiguillages sur la vie végétative. Ainsi, tout nous fait supposer que le végétal et l’animal descendent d’un ancêtre commun qui réunissait, à l’état naissant, les tendances de l’un et de l’autre.

Mais les deux tendances qui s’impliquaient réciproquement sous cette forme rudimentaire se sont dissociées en grandissant. De là le monde des plantes avec sa fixité et son insensibilité, de là les animaux avec leur mobilité et leur conscience. Point n’est besoin, d’ailleurs, pour expliquer ce dédoublement, de faire intervenir une force mystérieuse. Il suffit de remarquer que l’être vivant appuie naturellement vers ce qui lui est le plus commode, et que végétaux et animaux ont opté, chacun de leur côté, pour deux genres différents de commodité dans la manière de se procurer le carbone et l’azote dont ils avaient besoin. Les premiers, continuellement et machinalement, tirent ces éléments d’un milieu qui les leur fournit sans cesse. Les