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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

Vertébrés[1]. Et, dans la série des Insectes, il n’y a de postérieur à l’Hyménoptère que le Lépidoptère, c’est-à-dire, sans doute, une espèce de dégénéré, véritable parasite des plantes à fleurs.

Ainsi, par des chemins différents, nous sommes conduits à la même conclusion. L’évolution des Arthropodes aurait atteint son point culminant avec l’Insecte et en particulier avec les Hyménoptères, comme celle des Vertébrés avec l’homme. Maintenant, si l’on remarque que nulle part l’instinct n’est aussi développé que dans le monde des Insectes, et que dans aucun groupe d’Insectes il n’est aussi merveilleux que chez les Hyménoptères, on pourra dire que toute l’évolution du règne animal, abstraction faite des reculs vers la vie végétative, s’est accomplie sur deux voies divergentes dont l’une allait à l’instinct et l’autre à l’intelligence.

Torpeur végétative, instinct et intelligence, voilà donc enfin les éléments qui coïncidaient dans l’impulsion vitale commune aux plantes et aux animaux, et qui, au cours d’un développement où ils se manifestèrent dans les formes les plus imprévues, se dissocièrent par le seul fait de leur croissance. L’erreur capitale, celle qui, se transmettant depuis Aristote, a vicié la plupart des philosophies de la nature, est de voir dans la vie végétative, dans la vie instinctive et dans la vie raisonnable trois degrés successifs d’une même tendance qui se développe, alors que ce sont trois directions divergentes d’une activité qui s’est scindée en

  1. Ce point est contesté par M. René Quinton, qui considère les Mammifères carnivores et ruminants, ainsi que certains Oiseaux, comme postérieurs à l’homme (R. Quinton, L’eau de mer milieu organique, Paris, 1904, p. 435). Soit dit en passant, nos conclusions générales, quoique très différentes de celles de M. Quinton, n’ont rien d’inconciliable avec elles ; car si l’évolution a bien été telle que nous nous la représentons, les Vertébrés ont dû faire effort pour se maintenir dans les conditions d’action les plus favorables, celles mêmes où la vie s’était placée d’abord.