Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
L’INTELLIGENCE ET L’INSTINCT

choix. Là où beaucoup d’actions également possibles se dessinent sans aucune action réelle (comme dans une délibération qui n’aboutit pas), la conscience est intense. Là où l’action réelle est la seule action possible (comme dans l’activité du genre somnambulique ou plus généralement automatique), la conscience devient nulle. Représentation et connaissance n’en existent pas moins dans ce dernier cas, s’il est avéré qu’on y trouve un ensemble de mouvements systématisés dont le dernier est déjà préformé dans le premier, et que la conscience pourra d’ailleurs en jaillir au choc d’un obstacle. De ce point de vue, on définirait la conscience de l’être vivant une différence arithmétique entre l’activité virtuelle et l’activité réelle. Elle mesure l’écart entre la représentation et l’action.

On peut dès lors présumer que l’intelligence sera plutôt orientée vers la conscience, l’instinct vers l’inconscience. Car, là où l’instrument à manier est organisé par la nature, le point d’application fourni par la nature, le résultat à obtenir voulu par la nature, une faible part est laissée au choix : la conscience inhérente à la représentation sera donc contre-balancée, au fur et à mesure qu’elle tendrait à se dégager, par l’accomplissement de l’acte, identique à la représentation, qui lui fait contrepoids. Là où elle apparaît, elle éclaire moins l’instinct lui-même que les contrariétés auxquelles l’instinct est sujet : c’est le déficit de l’instinct, la distance de l’acte à l’idée, qui deviendra conscience ; et la conscience ne sera alors qu’un accident. Elle ne souligne essentiellement que la démarche initiale de l’instinct, celle qui déclanche toute la série des mouvements automatiques. Au contraire, le déficit est l’état normal de l’intelligence. Subir des contrariétés est son essence même. Ayant pour fonction primitive de fabriquer des instruments inorganisés, elle doit, à travers mille difficultés,