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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

choisir pour ce travail le lieu et le moment, la forme et la matière. Et elle ne peut se satisfaire entièrement, parce que toute satisfaction nouvelle crée de nouveaux besoins. Bref, si l’instinct et l’intelligence enveloppent, l’un et l’autre, des connaissances, la connaissance est plutôt jouée et inconsciente dans le cas de l’instinct, plutôt pensée et consciente dans le cas de l’intelligence. Mais c’est là une différence de degré plutôt que de nature. Tant qu’on ne s’attache qu’à la conscience, on ferme les yeux sur ce qui est, au point de vue psychologique, la différence capitale entre l’intelligence et l’instinct.

Pour arriver à la différence essentielle, il faut, sans s’arrêter à la lumière plus ou moins vive qui éclaire ces deux formes de l’activité intérieure, aller tout droit aux deux objets, profondément distincts l’un de l’autre, qui en sont les points d’application.

Quand l’Œstre du Cheval dépose ses œufs sur les jambes ou sur les épaules de l’animal, il agit comme s’il savait que sa larve doit se développer dans l’estomac du cheval, et que le cheval, en se léchant, transportera la larve naissante dans son tube digestif. Quand un Hyménoptère paralyseur va frapper sa victime aux points précis où se trouvent des centres nerveux, de manière à l’immobiliser sans la tuer, il procède comme ferait un savant entomologiste, doublé d’un chirurgien habile. Mais que ne devrait pas savoir le petit Scarabée dont on a si souvent raconté l’histoire, le Sitaris ? Ce Coléoptère dépose ses œufs à l’entrée des galeries souterraines que creuse une espèce d’Abeille, l’Anthophore. La larve du Sitaris, après une longue attente, guette l’Anthophore mâle au sortir de la galerie, se cramponne à elle, y reste attachée jusqu’au « vol nuptial » ; là, elle saisit l’occasion de passer du mâle à la femelle, et attend tranquillement que celle-ci